Depuis la fenêtre de ma chambre, on voyait presque tout le port. La cuisine donnait sur le côté sud. Avec des jumelles, je pouvais apercevoir mon père sur le front d'eau. St. John's, pour moi, c'était ça.
Glenn Critch
Après plus de 500 années d'existence, la ville de St. John's est devenue l'une des plus belles et des plus extraordinaires villes océaniques du monde. L'Administration portuaire de St. John's y exerce ses activités depuis 1965.
Le sommet de la colline Signal est l'endroit tout indiqué pour admirer le Port de St. John’s tout en évoquant son passé. Le fait d'observer la ville de si haut permet de prendre conscience des caractéristiques géographiques uniques du port, et de se faire une idée de ce à quoi ressemblait la petite cité portuaire à ses débuts. En faisant abstraction de l'architecture moderne de la façade portuaire, on imagine aisément les visiteurs du XVIe siècle manœuvrant leurs navires dans les nombreuses anses inhabitées de la région. Au-delà de ces anses, sur des terres situées en hauteur, s'étend un ensemble de prés aujourd'hui appelé « The Barrens » (les landes). Au fil de l’accroissement de la population de la ville, ces anses se virent attribuer des noms comme Beck's Cove, Ayre's Cove ou Steer's Cove, en référence aux premiers marchands ayant établi leurs entreprises en ces lieux.
Origine des documents photographiques : Division des archives provinciales The Rooms
Dissimulé derrière des parois de roche et des rideaux de brouillard dangereux, le port pouvait facilement échapper à la vigilance des équipages des navires de passage. L'entrée du port est étroite, peu profonde et traîtresse, ce qui ne posait aucun problème aux pêcheurs et marins de la région, mais constituait un sérieux obstacle pour les navires au long cours – il s'agissait là d'un atout de taille durant les nombreux affrontements militaires déclenchés par les tentatives de prise de possession du port. Une fois à l'intérieur du chenal The Narrows, le décor change radicalement. Contrairement aux eaux qui entourent le havre, celles du port sont calmes, et les vents glaciaux sont considérablement affaiblis par les collines escarpées Southside Hills, véritables fortifications militaires à elles seules. Au fil des années, le port s'est avéré à la fois suffisamment petit pour offrir un abri sûr et suffisamment spacieux pour accueillir certains des plus grands navires du monde, ce qui a fait de lui une plaque tournante majeure pour les industries les plus importantes et les plus actives de la province.
Origine des documents photographiques : Administration portuaire de St. John's
Au cours des 50 années qui ont suivi sa constitution en société relevant du Conseil des ports nationaux du Canada, le Port de St. John's a connu une mutation spectaculaire. Il faut savoir que, ces 30 dernières années, le Port a réussi à se réinventer en tant que pierre angulaire de l'industrie pétrolière, ce qui constitue une transformation impressionnante pour un port qui, depuis 5 siècles, devait son existence au commerce de poisson salé. En raison du déclin progressif de diverses pêches pratiquées autour de l'île, les anciennes traditions ont fait place à de nouvelles habitudes. Pendant des années, le port a servi de point de départ et d'arrivée aux expéditions de chasse au phoque printanières, qui attiraient sur le front de mer des hommes venus des quatre coins de l'île dans l'espoir de s'assurer une place à bord d'un bateau. Des pêcheurs du monde entier considéraient St. John's comme leur seul refuge sûr dans l'Atlantique Nord, et bon nombre de ces marins étrangers finirent par bien connaître la population et la géographie de St. John's. La visite annuelle de la Flotte blanche portugaise, en particulier, a contribué au renforcement d'une relation culturelle privilégiée qui est encore entretenue aujourd'hui. Pendant des siècles, St. John's fut ainsi le port des pêcheurs qui sillonnaient ces eaux glacées.
Origine des documents photographiques : J.P. Andrieux
Depuis la fenêtre de ma chambre, on voyait presque tout le port. La cuisine donnait sur le côté sud. Avec des jumelles, je pouvais apercevoir mon père sur le front d'eau. St. John's, pour moi, c'était ça.
Glenn Critch
Pendant les premiers siècles du peuplement de St. John's, le port était incontestablement le pôle d'attraction de la ville. C'est avant tout le port qui a permis à la ville de s'enrichir, en servant de point d'accès aux zones de pêche à la morue salée. Étant donné que la première route revêtue traversant l'île ne fut terminée qu'en 1965, le port était, pour beaucoup de Terre-Neuviens, la seule infrastructure de transport donnant accès au monde extérieur. Aujourd'hui, le Port de St. John's s'est métamorphosé : il ne s'agit plus seulement d'un terminal d'expédition desservant l'ensemble de l'île, mais aussi d'une importante base d'approvisionnement en pétrole dans l'Atlantique Nord.
Origine des documents photographiques : Administration portuaire de St. John's
Les nombreuses améliorations apportées à l'infrastructure du Port de St. John's ont marqué le début de l'ère de l'innovation et de l'efficacité dans le monde du transport maritime transcontinental. Avant l'achèvement de Harbour Drive en 1965, la partie nord du havre était bordée d'épis de quai s'avançant dans le port. Ces quais appartenaient aux nombreux marchands qui avaient réussi à revendiquer la propriété des quelques terres riveraines de l'époque. Les marchands en question exportaient de la morue dans le monde entier, et réceptionnaient des marchandises importées destinées à être livrées partout dans l'île ou vendues dans des magasins de détail sur la rue Water. Les marchandises étaient chargées et déchargées par des équipes de débardeurs, et le transport de ces chargements entre les navires et les entrepôts situés sur les quais se faisait manuellement.
Origine des documents photographiques : Division des archives provinciales The Rooms
Le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, en 1939, contribua à mettre en évidence l'inefficacité de l'archaïque système d'épis de quai, car le havre devint rapidement un refuge pour les convois de navires de guerre massifs, qui s'entassaient dans le port aux côtés des goélettes traditionnelles. L'arrivée de militaires américains et canadiens provoqua une agitation exceptionnelle dans le petit port. En raison des activités liées à la guerre, une plus grande variété de biens de consommation était disponible, et ces biens étaient donc très demandés. Comme d'autres centres névralgiques, le Port de St. John's généralisa progressivement l'utilisation de conteneurs d'expédition normalisés pour l'envoi et la réception de marchandises. Cette conteneurisation eut des répercussions considérables sur la nature du travail des débardeurs au port.
Ce projet raconte l'histoire de formes et d'habitudes de travail quotidiennes qui disparaissent rapidement – lorsqu'elles n'appartiennent pas déjà au passé.
Les personnes qui ont grandi non loin du port se souviendront peut-être avoir vu des équipes de débardeurs transporter les marchandises en vrac, ou des groupes de pêcheurs décharger frénétiquement leurs prises et leurs fournitures de bord. L'évolution industrielle progressive et les innovations technologiques qui ont transformé les industries du pétrole et du transport ont considérablement influé sur les types de tâches accomplies par le personnel portuaire, entraînant une diminution de la quantité de travail humain nécessaire dans les ports du monde entier. La technologie nous a permis d'atteindre des niveaux de productivité et d'efficacité sans précédent. Cependant, il ne faut pas oublier que les machines ne parlent pas. Elles ne font pas partie de la communauté. Elles n'ont ni souvenirs, ni famille, ni histoires à raconter. Il est donc naturel que nous célébrions la mémoire de notre port en racontant ces histoires, qui assurent la sauvegarde de notre patrimoine.
Comme c'est le cas pour la province de Terre-Neuve-et-Labrador elle-même, l'identité du Port de St. John's n'est pas tant définie par ses caractéristiques naturelles que par les gens qui y ont travaillé et vécu au cours des cinq siècles derniers. Les ports sont des endroits fascinants, et cela tient en partie au fait que, de par leur nature même, ils favorisent quotidiennement, tout au long de l'année, l'interaction entre différents corps de métiers et différentes cultures. Bien qu'il soit au cœur de la vie de la ville dont il fait partie intégrante, un port fonctionne beaucoup comme une ville à part entière, un organisme culturel unique. Compte tenu de tous ces éléments et de l'identité linguistique et culturelle propre aux Terre-Neuviens, il n'est pas étonnant que le Port de St. John's ait réussi à se forger un caractère aussi marqué.
Visitez le site Web du projet A Beautiful Sight pour en savoir plus sur l'histoire du port et la chronologie des événements qui s'y sont déroulés. Vous trouverez également sur ce site des extraits audio et une vaste galerie de photos.